Prévenir la délinquance ou criminaliser la misère ?

Mercredi 24 janvier 2007 à 20h00

Au cinéma de Saint Clément les Places
Projection du film: La raison du Plus Fort
(Patric Jean/ France-Belgique/90'/2003)
Intervenants : Travailleurs sociaux en lutte

Présentation de la soirée

La raison du plus fort

Depuis plusieurs années, au nom de la lutte contre la délinquance, de nombreux projets de loi et circulaires ministériels visent à instrumentaliser le travail social et éducatif à des fins sécuritaires. En rompant avec une philosophie qui, depuis l'après-guerre, privilégie une relation de confidentialité entre le travailleur social et l'usager, ces textes instillent le contrôle social et la suspicion permanente sur les populations les plus fragilisées. Dernier en date, le projet de loi de prévention de la délinquance présenté par Nicolas Sarkozy, en mettant notamment le maire au centre d'un dispositif de contrôle des populations, a provoqué contre lui une large mobilisation de travailleurs sociaux, mais aussi de magistrats et de maires. Durant cette soirée, nous vous proposons de venir échanger avec des travailleurs sociaux autour de ce projet de loi, mais aussi plus généralement autour de la conception qu'ils ont de leur métier.

La soirée débutera par une projection du film « La raison du plus fort », documentaire réalisé par Patric Jean. Tourné dans plusieurs villes de Belgique et de France, « La raison du plus fort » décrit avec force le contrôle social et l'enfermement auxquels nos sociétés se livrent sur une partie de la société pour que l'autre puisse vivre son fragile rêve consumériste. Film social mais très personnel dans son écriture, La raison du plus fort, dont plusieurs séquences ont été tournées dans des prisons et des quartiers en déshérence, nous montre la société qui se dessine et les raisons d'y résister.

L'association La Voisine

La voisine

La Voisine, c'est l'association qu'ont créée les musiciens du groupe Bistanclaque et avec laquelle ils mènent de nombreux projets à portée artistiques, politiques, linguistiques, gastronomiques et bien d'autres « iques » encore.

Travailleuse infatigable, La Voisine, en dehors de ses activités indispensables de commérages, a déjà produit les deux albums de Bistanclaque, mais aussi, entre autres, organisé six éditions de l'inestimable festival de la Pierre Bleue dans les Monts du lyonnais où elle co-organise également, avec de nombreuses autres associations, le non moins estimable Forum Social des Villages.

A l'occasion des précédents Forums, la Voisine a organisé une rencontre avec les journalistes du mensuel CQFD et une soirée de courts métrages suivie d'une discussion sur le thème de l'insécurité.

Pour cette nouvelle édition du FSV dont le thème est l'Homme debout, il nous semblait important de parler de ceux qui ont justement du mal à se tenir debout, et qu'on culpabilise d'être responsables de leur sort. A l'heure ou l'idéologie dominante veut laisser penser qu'il n' y a d'issue qu'individuelle en niant la pression sociale qui s'exerce sur les personnes, il est utile de décrypter ces mécanismes en marche et de rappeler que c'est aussi dans une dimension collective qu'on se « redresse ».

Sur le film "La raison du plus fort"

La raison du plus fort

Genèse

L'idée de ce documentaire est venue à Patric Jean au moment où le ministre belge de la justice a commandé un rapport sur les liens entre immigration et délinquance. "Ce rapport a beaucoup choqué les sociologues, les criminologues mais la presse s'en est très peu émue. Comme si cette question n'était pas tout à fait idiote. C'est le même ministre qui, en même temps, proposait la dépénalisation des délits financiers pour lesquels il fallait 'trouver des arrangements' et qui a tout fait pour criminaliser la pauvreté. Même méthode en France".

Démystification

Par le biais de ce documentaire, le réalisateur souhaitait rendre compte d'un fait social selon lui indubitable :" la dualisation de notre société entre les populations les plus riches et les plus pauvres est de plus en plus violente. Pour maintenir une société de marché où ceux qui n'ont rien à perdre se tiendront tranquilles face à la richesse des autres, aux biens de consommation à outrance, à la publicité omniprésente, il faut une sorte d'état policier basé sur la surveillance, le contrôle et la peur de la prison". "J'aimerais tellement faire douter. Briser quelques certitudes de la pensée unique sur la délinquance, les 'sauvageons' et autre insécurité". Il s'agissait également de se substituer aux médias, qui ont pour Patric Jean failli dans leur mission, et participent à la mystification : "Un scientifique vous dit qu'il n'a pas les moyens de mesurer l'évolution de la délinquance à court terme, qu'il n'existe pas de méthode scientifique pour ce faire et en même temps vous entendez les politiques parler de la délinquance qui augmente ou recule de x% en un mois. C'est un mensonge complet. C'est de la manipulation mais personne, je dis bien absolument personne ne le dit dans les média. (...) Dès la mise en place d'un nouveau gouvernement, le taux de délinquance diminue illico. Ou c'est de la magie, ou c'est de la manipulation".

Le choix des lieux

Patric Jean tenait à travailler sur deux pays au moins, le problème abordé se posant à l'échelle internationale. "C'est la conséquence d'une société de marché et non d'une situation particulière". Son choix s'est immédiatemment porté sur la France et la Belgique, soit les deux pays qu'il connaissait le mieux, et qui présentent des caractéristiques essentielles à une telle entreprise : "taux records de racisme, taux records de suicide, taux de chômage important. Leurs différences sont intéressantes : le France a eu des colonies en Afrique du Nord et a fait venir de la main d'oeuvre de ses colonies. La Belgique non. D'autre part, il n'y a pas eu, en Belgique, de construction de grands ensembles de type banlieue H.L.M. comme en France. Ce sont donc des situations différentes en apparence mais avec un terreau commun à toute l'Europe, ou presque".

Univers carcéral

La prison occupe une place importante dans le film. Selon le réalisateur, "c'est le coeur du système ! (...) J'ai compris en faisant ce film que le principe de la prison n'est pas la privation de liberté. Celle-ci n'est qu'un moyen. Le principe de la prison est l'humiliation. Il faut faire plier (ou casser) ceux qui résistent au système (...)".

Cinéma et politique

Il existe pour le documentariste Patric Jean bien des façons de faire de la politique, aujourd'hui, hors de la voie habituelle. "Je ne crois plus du tout qu'il soit possible de faire de la politique dans un parti. (...) Mais il y a d'autres manières plus efficaces de faire de la politique et de lutter pour la démocratie, (la démocratie participative, l'économie sociale et solidaire, l'instruction gratuite et de haut niveau et la culture pour tous, des services publics de qualité, etc...) sans mandat, en faisant des films, en écrivant des livres, en participant à des forums et des mouvements sociaux etc...". Ou comment faire d'un documentaire un acte politique.

Sur la loi de prévention de la délinquance

Tract du Collectif National Unitaire (à consulter sur abri.org) Le projet de loi de prévention de la délinquance est en cours d'examen au Parlement ; De très nombreuses réactions opposées au projet et à ses principaux aspects se sont accumulées : le Conseil Supérieur du Travail Social, la CNIL, L'ordre des Médecins, de nombreux syndicats et associations professionnels, le CNU, des associations de malades et des organisations familiales, ainsi que de nombreux maires et des organisations politiques.

Quelques exemples des principales mesures prévues par le projet :

LE MAIRE : Les maires responsables de la prévention de la délinquance se voient attribuer des pouvoirs étendus de contrôle et de sanction. Au nom de la prévention avec l'article 5,le secret professionnel sera levé au profit du maire qui aura droit d'accès aux données individuelles concernant les usagers des services sociaux et médico-sociaux : Ce qui aura été confié à une assistante sociale, un médecin, un éducateur pourra se retrouver sur le bureau du Maire au nom de la prévention de la délinquance. Il s'agit là d'une atteinte grave aux droits des usagers qui menace la prévention basée sur une relation de confiance et instrumentalise le travail social et celui des professionnels de santé, de l'éducation. Pouvoir de demander la suspension des allocations familiales, convocation devant un conseil des droits et devoirs des familles, rappel à l'ordre : condamnation à des stages de responsabilité parentale. Les maires auront également accès au fichier des malades mentaux et devront tenir un fichier sur la scolarité des enfants domiciliés sur sa commune.

LA JUSTICE DES MINEURS : En matière de justice des mineurs c'est la répression qui se substitue à la prévention en appliquant des procédures qui relèvent de la justice des majeurs avec par exemple une procédure de type comparution immédiate ce qui exclut toute prise en compte du contexte de vie du jeune.

PSYCHIATRIE : Alors que 800 postes de médecins psychiatres hospitaliers sont vacants, les malades mentaux sous contraintes seront considérés comme dangereux à priori et feront l'objet d'un contrôle renforcé (fichage, information du maire). Les soins psychiatriques se voient instrumentalisés au nom de la sécurité publique.

AU TRAVAIL : Le Procureur de la République pourra faire effectuer sur de nombreux lieux de travail des contrôle d'identité et des dépistages sanguins "si il existe une raisons plausibles de soupçonner qu'elles ont fait usage de stupéfiants" au mépris du rôle de la médecine professionnelle et des Instances du personnel (Comité Hygiène et Sécurité).

LUTTER CONTRE UN PROJET SECURITAIRE : Avec toutes ces dispositions qui touchent à de nombreux aspects de la vie quotidienne de chacun, se dessine les contours d'une société où les impératifs de la Sécurité Publique, le contrôle des populations notamment les plus défavorisées, la surveillance généralisée, l'emportent sur la prévention et l'éducation.

Quelques sites à consulter :

http://rebellyon.info/article2675.html
http://etudiantssocial.ouvaton.org/article.php3?id_article=147
http://www.abri.org/antidelation
http://www.truc.abri.org/Projet-de-loi-Prevention-de-la

Site web externe en relation :