Par Jean Jacques Lacroix du collectif lyonnais.
(septembre/octobre 2013)
Cet avis (parfois assez technique et relativement difficile à lire) confirme, pour l’essentiel, les critiques que nous avions formulées depuis un an sur les « emprunts toxiques » du Conseil général du Rhône.
Les analyses de la Chambre sont souvent assez critiques sur la manière dont le Département a géré ce dossier, mais curieusement les conclusions sont relativement adoucies dans leur appréciation d’ensemble.
Il est vrai que la Chambre régionale des comptes ne semble pas contester le choix qu’a fait la Conseil général au début des années 2000 de recourir massivement aux emprunts toxiques (bien qu’elle en dénonce les risques) et semble privilégier un politique de renégociation des dettes qui se traduit (selon elle) par des charges financières supportables par les comptes du Département (mais qui selon nous pénalisent fortement les possibilités de développement des services publics). L’action en justice (qui créerait un rapport de force en faveur du Département) n’est d’ailleurs pas évoquée dans ce rapport.
Je relève ci-dessous divers éléments du rapport qui me paraissent significatif des risques engagés par l’exécutif départemental dans sa démarche concernant ces emprunts toxiques.
A propos des volumes financiers concernés : l’encours de la dette fin 2012 est de 758 millions d’euros en hausse depuis 2009. Fin 2012, la dette structurée est de 362 millions€ à la suite de diverses opérations de réaménagement et de refinancement dont 5 emprunts répertoriés « 6F » (les plus dangereux dans la classification Gissler).
La Chambre note la persistance d’un stock « dur » d’emprunts structurés notamment depuis 2007.
A propos des renégociations : Les renégociations ont un coût immédiat et/ou futur susceptible de peser à terme sur le niveau des charges financières de la collectivité.
La soulte de sortie de tous les produits structurés s’établirait autour de 480 millions€ (en avril 2012) pour les 5 emprunts classés « 6F ». Ce qui serait insupportable par les finances départementales.
Ces renégociations ont abouti au « gel » temporaire des taux mais ont maintenu des contrats dont les coûts de sortie et les niveaux de valorisation risquent de peser lourdement sur les finances de la collectivité : selon les prévisions établies par la Chambre les annuités pourraient évoluer de 40 millions€ (en 2014) à près de 70 millions (en 2016), en cas d’aggravation des conditions économiques (p59). La Chambre considère que cet impact des charges financières pourrait être absorbé par un point et demi de fiscalité supplémentaire sur les propriétés bâties, « solution » que nous contestons fermement ! ainsi que toute autre proposition visant à faire supporter par les contribuables les choix contestables de l’exécutif départemental en matière d’emprunt et les turpitudes des dérives financières du système bancaire (notamment de DEXIA).
L’évolution des surcoûts potentiels du coupon gelé à l’été 2012 démontre l’importance des risques à très court terme auquel est exposé le Département. De l’avis de la Chambre ces menaces justifient une appréhension correcte du risque de taux … (p53)
A propos de la transparence et de la stratégie de l’exécutif : p59 « La Chambre appelle l’attention de l’assemblée sur le fait que celle-ci est tenue de fixer des limites aux pouvoirs qu’elle délègue, sous peine de risque de sanction au titre d’incompétence négative ».
Nous réaffirmons à ce sujet la nécessité d’une plus grande transparence dans la gestion de ces questions par l’exécutif qui pourrait se traduire, notamment par la mise en place d’une commission de la dette ouverte aux citoyens sensibilisés sur ce dossier.
- P60 : « La Chambre relève l’absence de réelle stratégie qui paraît se limiter, au moins jusqu’en 2009-2010, à un objectif de réduction des frais financiers à court terme. Aucune ligne stratégique n’est par ailleurs définie en matière de réaménagement de dette et ce alors qu’une grande partie des opérations sont des réaménagements d’emprunts. Il ne semble pas que les opérations de réaménagement conduite jusqu’en 2008 aient fait l’objet d’une analyse du point de vue de leur équilibre financier ».
« Cette situation a abouti, début 2008, à ce que plus de 80% de l’encours soit composé de produits structurés soit plus de 426,72 millions€, avec notamment une part de l’encours des produits indexés sur des parités de change (= des produits potentiellement toxiques) de 51%. Cette situation a résulté d’une absence d’évaluation des risques ainsi que celle de conseils extérieurs autres que DEXIA jusqu’en 2008 » !!
- P62 : « Les informations données se limitent à la présentation des ratios traditionnels que la Chambre estime peu à même de rendre compte des risques associés à un encours structuré aussi important…En ce qui concerne les coûts de la dette la Chambre considère que les présentations faites rendent compte de manière partielle des risques futurs … »
- P63 « Les risques portés par l’encours structuré semblent avoir été minimisés au moins jusqu’à la fin de l’année 2008 (je pense que cet sous-estimation perdure aujourd’hui encore dans les rapports présentés par l’exécutif et voté à une large majorité par l’assemblée délibérante qui « fait confiance » à la gestion présentée) et ce alors qu’un premier rapport d’audit sur la dette et les risques associés a été remis en début d’exercice ».
- P66 : « Du fait d’une gestion centralisée des questions de la dette les mécanismes de contrôle interne ne semblent pas avoir fonctionné, de même que le contrôle de l’assemblée délibérante alors que certains éléments transmis au sein des rapports de gestion auraient été susceptibles de susciter des questions plus avant » (malheureusement cette attitude frileuse vis-à-vis de toute question qui dérange la gestion centralisée demeure une constante aujourd’hui !!)
A propos de l’analyse de l’équilibre financier des dernières opérations de réaménagement : p70 et suivantes, au prix d’une étude relativement longue (ce qui confirme le manque de transparence de l’exécutif dans ces dossiers) la Chambre semble considérer que les négociations conduites en 2012 sont plutôt favorables au Département.
Cependant il est à noter p75 que « la Chambre relève que le réaménagement conduit à l’été 2012 s’est traduit par l’augmentation de l’endettement global alors que cela n’était pas indispensable en regard des besoins réels d’emprunt nouveau. Dans un objectif de meilleure information la Chambre incite la collectivité à renforcer à l’avenir sa capacité d’expertise des propositions émises par la banque » (ce conseil semble judicieux au vu du résultat de la renégociation récente, en juillet 2013, des emprunts 676 et 677 !)
« Le Département a réussi à éliminer jusqu’ici à moindre coût de son encours les prêts structurés les moins toxiques » (ce moindre coût peut être estimé à plus de 60 millions€ d’indemnités payées ou capitalisées pour les prêts renégociés en 2012 et 2013 : 39 millions au titre de 2012 + 30 millions minimum au titre de 2013 ! ce calcul n’intègre pas le surcoût des intérêts payés suite aux allongements de la durée de certains prêts ou à la capitalisation des intérêts, en fait c’est plusieurs dizaines de millions d’euros de surcoûts supplémentaires qu’il faudrait ajouter à ces 60 millions€ d’indemnités déjà actés !!)
- P75 : « Cette stratégie consiste à procéder à des remboursements anticipés ainsi qu’à « geler » temporairement le taux de certains emprunts à des taux inférieurs … Ces opérations se révèlent moins pénalisantes que de payer des soultes de sortie dans un contexte défavorablement orienté » (c’est pourtant ce que l’exécutif continue à faire et qu’une majorité d’élus approuve sans interrogation)
« Malgré les actions conduites il reste encore à la fin de l’année 2012 un montant de plus de 360 millions€ de dette structurée (près de 50% de l’encours total) très « rigide » car constitué pour l’essentiel d’emprunt « hors charte » dans un contexte de crise économique et financière marquée par des anticipations défavorables ».( L’essentiel des problèmes demeure donc non résolus !!)
En conclusion : selon la Chambre, sur le plan financier, les réaménagements de 2011 se sont fait à l’avantage du Département, tandis que ceux de l’été 2012 sont à priori équilibrés. (Nous ne partageons pas cette appréciation optimiste qui raisonne uniquement en prenant en compte les charges financières qu’aurait encourues le Département avec ses emprunts initiaux structurés mais qui ne conteste pas le choix d’avoir souscrit de tels prêts spéculatifs)
A la fin de l’année 2012 il reste dans l’encours 6 emprunts structurés dont 5 potentiellement « toxiques » pour un montant de 243 millions€ fin 2012 présentant des risques particulièrement importants avec des maturités courant après 2030 !!!
Il n’y a pas de quoi à être particulièrement rassuré par ce constat !!!
Si l’on synthétise les grandes idées forces de ce rapport, on peut retenir que :
- Le Conseil général a eu recours à des emprunts structurés pour des montants très importants, (en 2008 : 80% de l’encours de la dette était composé d’emprunts structurés ; fin 2012 : c’est près de 50% de l’encours)
- Il ne maîtrisait pas ce type de financement,
Il n’avait pas de stratégie financière,
Ces prêts ont été mis en place sans véritable contrôle en interne,
- L’information des élus du Conseil général relative à ce type de produits a été défaillante,
- Les renégociations qu’il a faites lui ont coûté et vont lui coûter beaucoup d’argent (plus de 60 millions € d’indemnités versées ou recapitalisées en 2012 et 2013, sans compter les intérêts liées aux indemnités recapitalisées et à l’allongement de la durée de certains prêts). La soulte de sortie de tous les produits structurés s’établirait autour de 480 millions€ (en avril 2012)
Les réaménagements de dettes réalisés en 2012 (et en 2013) conduit à l’augmentation de l’endettement (par capitalisation d’indemnités notamment),
- Le Conseil général ne dispose pas des compétences suffisantes pour assurer le suivi des produits complexes qu’il a souscrits et il doit avoir recours à des conseils extérieurs,
Les présentations de l’endettement faites par l’exécutif départemental rendent compte de manière partielle des risques encourus (selon les scénarii de la Chambre la charge de la dette pourrait passer de 30 millions€ en 2013 à 50 voire 70 millions€ en 2016),
- Malgré la renégociation d’un encours important de ces prêts (191 millions d’emprunts structurés ont été renégociés entre 2006 et 2012), il demeure un « noyau dur » d’un montant élevé, difficilement négociable et porteur de risques importants pour le futur (stock du « noyau dur » des 3 emprunts les plus toxiques : 243 millions€).
Les prêts toxiques peuvent être attaqués en justice pour leur caractère spéculatif. On pourrait même invoquer le défaut de conseil des banques prêteuses puisque la Chambre souligne « l’inégalité des armes » en relevant que le Conseil général ne maîtrisait pas et ne maîtrise toujours pas ce type de financement.
Collectif des Monts du Lyonnais pour un Audit Citoyen de la Dette Publique
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