Communiqués

COMMENT REINVENTER LA DEMOCRATIE
Vendredi 04 Mai 2012

SYNTHESE SOIREE du 7 AVRIL 2012 au cinéma Paradiso à St Martin en haut
 
COMMENT REINVENTER LA DEMOCRATIE
 
Pascal AUBERT, ancien président de l'ADELS* et vice-président de la fédération nationale des centres sociaux observe depuis plus de 20 ans les questions de démocratie. En préambule et en clin d'œil, il s'est défini comme un urbain content d'être sorti de chez lui  pour nous retrouver ce soir à Saint Martin en Haut.
 
Ses questionnements professionnels et militants l'ont amené à faire le constat qu'en dépit des professionnels impliqués (Pascal Aubert est animateur de quartier sur l'agglomération de Saint Denis) pour la faire vivre, la démocratie s'essouffle . Bien souvent, ce sont toujours les mêmes personnes que l'on retrouve. Pour Pascal AUBERT, le risque est la constitution de petits groupes d'habitants qui privatisent les espaces de démocratie et ne sont pas représentatifs de la population. Dans ces petits groupes, on trouve majoritairement des gens qui vont plutôt bien, qui sont plutôt vieux, plutôt blancs et plutôt insérés.
La question est alors : comment élargir le cercle de ceux qui participent ?
 
Pascal AUBERT fait ensuite un autre constat qui est celui du développement de l'abstentionnisme. C'est le signe d'un affaiblissement de la démocratie représentative.
Pour lui, l'état de la démocratie locale c'est :
-        l'état de la démocratie représentative
-        l'état de la démocratie participative
 
Quand le socle de la représentativité devient trop faible, cela affaiblit le contrat élus / population. C'est inquiétant car il n'est écrit nul part que la démocratie est obligatoire. Pascal AUBERT pose la question : si on ne maintient pas une démocratie dynamique, qu'est-ce qui oblige à maintenir la démocratie ?
Au sein du pouvoir économique et du pouvoir d'experts, des voix se font entendre suggérant que l'on pourrait se passer de la démocratie. Le risque face à une crise importante est que de plus en plus de voix se fassent entendre pour dire « c'est plus simple et plus efficace de fonctionner sans la démocratie ».
Pascal AUBERT pointe le fait que la question de la démocratie n'est pas à l'ordre du jour des débats de l'élection présidentielle.
 
Il pose ensuite la question «où est le problème? »
Pour lui le constat courant « les gens maintenant sont plus... », « les gens sont devenus... » ne tient pas. Si on est dans un concept de mutation anthropologique, il n'y a pas de solution. Changer les gens ? C'est une illusion qui conduit au totalitarisme.
Pour lui, il faut chercher une autre explication plutôt que de pointer la crise de la demande, regarder du côté de la crise de l'offre.

Pour Pascal AUBERT, le cadre de participation n'est plus adapté à la société actuelle qui s'est fortement individualisée. Il n'y voit pas que du négatif. L'individualisme, c'est aussi maîtriser sa vie, son destin et ce n'est pas nécessairement contradictoire avec le fait d'être avec les autres. Il faut aussi prendre en compte le fait que l'ensemble de la population à accès à une multitude de canaux d'information et à des études plus longues.
Comment l'offre de participation est-elle mise en œuvre ?
Pour lui il y a quatre raisons pour lesquelles la participation ne fonctionne pas.
 
-        On part rarement des préoccupations des gens. On les consulte sur les préoccupations de la collectivité ou de l'institution et non pas sur leur quotidien.

-        Lorsque les gens viennent, ils se rendent souvent compte qu'ils n'ont aucun poids sur la décision. Pascal AUBERT pose la question : « où est le mot POUVOIR dans les discours? »

-        Il y a une négation de la capacité d'agir, d'organisation des gens. Affaiblissement des pratiques du collectif (syndicats, partis de masse, églises...). Au final, on aboutit à une perte des savoir faire.

-        Problème de la forme (réunion, tribune...). Il y a quelque chose d'illusoire à faire venir des personnes différentes dans un même lieu. Il y a une difficulté pour certains à prendre la parole devant les autres, quelquefois devant ses voisins, cela engage, c'est d'autant plus difficile quand on ne va pas bien. Dans une configuration de ce type, parlent généralement ceux qui en ont l'habitude ou ceux qui sont en colère.
 
Pascal AUBERT a ensuite essayé de dégager des pistes pour des solutions. Pour lui, la représentativité reste nécessaire, il faut quelqu'un qui valide une décision.
L'important pour redynamiser la démocratie, c'est d'agir sur le comment s'élabore la décision. Ouvrir le débat sur l'élaboration de la décision c'est aussi relégitimer les élus. Il faut rendre aux gens la capacité d'agir. Il faut imaginer de nouvelles formes de débat démocratique, aller chercher les gens là où ils sont, aller à leur rencontre.
 
Pascal AUBERT a également insisté sur le système éducatif qui ne prépare pas à la solidarité, la coopération, le débat. On met les enfants dans la performance individuelle. Il y a nécessité à remettre en route l'éducation populaire. La démocratie, c'est quelque chose qui se pratique, ce n'est pas de la théorie.
 
* ADELS : Association pour la Démocratie et l'Education Locale et sociale.
 
Philippe GARNIER, maire de Meys, nous a ensuite fait part d'une expérience de participation des habitants initiée sur sa commune. Cette expérience concerne un projet de création d'un éco quartier né de la problématique d'accueil des nouveaux habitants et de besoins en termes de locaux scolaires.
La démarche a été lancée sur le bulletin municipal. Il était demandé aux personnes désireuses de participer à la démarche de venir s'inscrire en mairie. Philippe GARNIER s'interroge sur le fait que cela ait pu être un frein pour certains. Il ne souhaitait pas qu'il y ait trop de monde car appréhension quant à la difficulté à gérer. Trois instances ont été mises en place ainsi qu'un comité de pilotage.Le démarrage s'est fait sous forme de brainstorming sur papier qui a permis de dégager les grosses tendances. De ces réunion est ensuite sorti un pré programme validé par le conseil municipal.
Philippe GARNIER nous a fait part de ses craintes de départ qui sont tombées face au constat d'une démarche très constructive. Pour lui, le dialogue avec les habitants lui a permis de se rapprocher d'eux.
 
 
André GRANGE nous a ensuite présenté le Conseil Local de Développement  (CLD) dont il est le président. Il a rappelé que le CLD est né en 2005 de la volonté de la Région de mettre en place une démarche participative et des élus du SILOLY.
Le CLD fonctionne actuellement avec un noyau de 12 à 15 personnes qui se réunissent dans des réunions de bureau ouvertes à tous.  Le CLD  touche un réseau de 250 personnes via un listing mail.
André GRANGE a indiqué que le CLD était associé à l'évolution des contrats avec la Région et l'Europe. Il émet un avis sur les dossiers de demande de financement dans un soucis de critique constructive. Il a autonomie pour s'auto-saisir de questions qui concernent l'ensemble de la population au travers d'un travail de réflexion et de rencontres publiques. Les thèmes du maintien à domicile des personnes âgées et de la revitalisation des centres bourgs ont ainsi été travaillés.
André GRANGE pose la question de comment ne pas se retrouver entre « experts » réunis en petit groupe?, comment élargir le cercle des participants ?.
 
 
Bernard CHAVEROT, Conseiller Général et maire de Montrottier a interrogé la notion de démocratie et de cumul des mandats. Il fait le constat qu'au sein des élus aussi, il y a  ceux qui ont la parole facile et ceux qui s'expriment peu. Tous votent. La démocratie c'est peut être aussi parfois la pratique du vote à bulletin secret pour les élus. Mais il faut aussi que les électeurs sachent pour qui/quoi votent ceux qui les représentent.
Bernard CHAVEROT pense qu'il y a actuellement un mouvement qui va vers un recul de la démocratie au travers de la remise en cause de la notion de commune. Pour lui, le maire est l'élu qui est le plus en contact avec la population. La démocratie passe par le dialogue avec les habitants. Il donne ensuite des exemples de participation dans sa commune sur un projet d'école et de lotissement communal et indique que les réalisations ne sont pas celles d'un homme mais de tous. La délégation est un élément important à condition de jouer le jeu et de ne pas critiquer les décisions prises ensuite même si on n'est pas d'accord. Important de prendre en compte la question du temps. Ne pas imposer. Si les choses ne se font pas de suite elles se feront plus tard.
Il note qu'au niveau Conseil Général, les choses se passent moins dans la proximité. A son niveau, il réunit régulièrement son comité de soutien pour évoquer ce qu'il fait au sein du Conseil Général.
Bernard CHAVEROT indique enfin qu'il souhaite une meilleure prise en compte de l'éducation citoyenne au sein du parcours scolaire.
 
 
Lors du débat avec la salle, les prises de parole se sont faites sous forme de tirage au sort. Parmi les thèmes évoqués :
 
-        Limitation et temps des mandats
-        Résistance
-        Donner une éducation citoyenne aux enfants. Les centres sociaux.
-        Le peu d'élus présents à la soirée malgré l'invitation faire. Comment faire venir les élus?
-        La démocratie dans l'entreprise
-        Qu'est ce qui nous interpelle dans le dérapage de la démocratie.?  Question de la connaissance.
-        Ceux qui font du pouvoir leur métier
-        Baisse des subventions aux associations
-        Règle d'or, négation de la démocratie
-        Mouvements nouveaux (printemps arabes, indignés, occupy Wall Street …)
-        Prochaines élections législatives
 

En conclusion, Pascal AUBERT est revenu sur le déroulement de cette soirée qui a pour lui démontré ce à quoi il croit vraiment. Il a précisé que s' il faisait un constat sévère, il était cependant très optimiste sur le potentiel des gens. Il a rappelé la nécessité de modifier le regard porté sur les milieux populaires, les milieux défavorisés qui ont une très grande capacité à se débrouiller, à inventer des solutions.
Pascal AUBERT a de nouveau insisté sur l'importance de l'élaboration dans la décision. On ne peut pas penser détenir la vérité tout seul. Il a également interrogé la notion de temps qu'il faut ralentir. Pour lui, le risque quand on va trop vite, c'est de fabriquer de la bêtise collective.

Conférence organisée par le Collectif du Forum social des villages.

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QUELQUES ECRITS SUR LE SUJET POUR POURSUIVRE LA REFLEXION


PREMIER TEXTE

La démocratie participative en question
9 Octobre 2009 - Vie associative
* Compte rendu de la table ronde qui s'est déroulée lors de l'université d'été d'Animafac le 19/09/09 de 17h30 à 20h
Pourquoi régénérer la démocratie ?
Intervention de Serge Depaquit
Serge Depaquit : vice-président de l'Association pour la démocratie locale et sociale (ADELS)

À quoi participe-t-on ? L'ADELS est une association qui va fêter ses 50 ans. Elle s'est consacrée à la démocratie locale ainsi qu'au développement en général et édite la revue Territoires qui traite de ces sujets. Elle a « les mains dans le cambouis », et travaille notamment sur la mise en place de conseils de quartier, mais aussi de budgets participatifs, de processus d'évaluation démocratique, de questionnaires. Tous ces instruments sont des instruments de la démocratie participative. Mais il ne sert à rien de multiplier les dispositifs si on ne sait pas quel sens ils ont.

Le contexte actuel, relativement à la question du rapport des citoyens à la représentation politique et aux élections, est celui d'une montée de l'abstention qui a doublé en 25 ans. C'est un phénomène profond, qui concerne toutes les couches sociales, et plus particulièrement les couches populaires, et se manifeste à tout type d'élections, nationales aussi bien que locales. Il n'est pas purement français et touche également les autres pays industrialisés.

L'abstention est un véritable problème du monde moderne. On peut distinguer trois facteurs de celle-ci :
• la question du sens, le fait qu'il y ait une incertitude quant au sens et à l'utilité de son vote, pour soi et pour ses enfants
• la crise sociale
• l'éclatement des lieux de la décision, le fait que les décisions politiques soient prises à des niveaux territoriaux différents, qui pose problème à la démocratie car on ne sait pas toujours à quel niveau se régulent les questions.

Dans ce contexte, à quoi participe-t-on ? Quelle est la place du citoyen ? A-t-il un rôle à jouer dans la décision ?
Une des raisons de la perte du sens est qu'aujourd'hui, si les actions publiques qui concernent l'avenir sont élaborées et discutées pendant la campagne électorale, elles ne le sont que partiellement, et le sont davantage au moment où elles se construisent. Tout ceci pose la question fondamentale de la souveraineté populaire. Pour Rosanvallon, il faut penser une souveraineté complexe. La souveraineté s'exprime par l'élection des représentants du peuple mais il y a d'autres expressions possibles de celle-ci, qui sont importantes dans la construction de la politique et donc de la décision. La question qui nous est posée, de manière très globale, est de savoir comment on gouverne et la place qu'on accorde au citoyen aux différentes échelles. Par exemple, quand on travaille sur le projet du Grand Paris, qui va regrouper douze métropoles, cette question se pose.

Même à des échelles de décision qui paraissent éloignées, les citoyens peuvent être intéressés et concernés. Si on prend l'exemple de l'Europe, sur la question des côtes et de la sécurité maritime, cela concerne tout le monde et le gens comprennent que l'Europe est un niveau pertinent pour réfléchir à ces sujets. Cela vaut également pour la question de la sécurité alimentaire. La proximité ne se réduit pas forcément à ce qui se passe à côté de chez soi ; la proximité doit également être comprise comme proximité d'intérêt : beaucoup de questions sont proches du citoyen sans pour autant qu'elles renvoient à quelque chose qui se passe devant chez lui. Il faut prendre en charge ces aspects là si on veut renouveler la démocratie, car on ne participe sérieusement que si l'on a l'impression que ce l'on fait, dit ou délibère a une influence sur ce qui va se faire et qui nous concerne.

Il faut qu'il y ait des dispositifs qui font que ce qui est dit, discuté et élaboré soit pris en compte. On est ici sur l'idée de processus décisionnel. Une décision aujourd'hui ne se prend pas comme il y a cinquante ans. Le monde moderne offre des possibilités qu'il faut exploiter pour donner leur place aux citoyens dans les processus de décision. Car une décision aujourd'hui est un processus, le résultat de la mise en cohérence d'un ensemble de savoirs, de compétences et de légitimités. Il faut imaginer les outils démocratiques qui permettent de construire ceci aux différentes échelles territoriales. Par exemple, si on prend les évaluations, celles-ci sont conçues en général comme un regard après-coup par des experts, mais l'idée qu'en a l'ADELS est que l'évaluation est un processus qui fait partie du processus décisionnel et qui doit être pluraliste. Fait en rapport avec la population, ce processus est formateur d'un jugement.

La démocratie est la construction de jugements publics, c'est-à-dire qu'elle repose sur la capacité des gens à s'approprier les enjeux en rapport avec l'action publique. On observe ceci au niveau des Agenda 21, qui concernent les questions de développement durable. En général, ils sont élaborés dans la concertation. Mais cela ne suffit pas, car dans leur suivi et mise en œuvre une grosse partie des citoyens est oublié, or c'est là que le rapport à l'action publique et à la compréhension de ce qui se construit, c'est-à-dire au fond à l'intérêt de la politique, peut se faire.

À tous les niveaux territoriaux, il faut donc penser cette capacité d'implication du citoyen en rapport avec l'action publique, sans croire que la seule base pour cela soit la réunion de quartiers, mais aussi à d'autres échelles qui concernent tout autant directement la vie des gens.

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DEUXIÈME TEXTE

La démocratie vacille sur ses fondements. Une fraction grandissante du corps social s’éloigne des expressions traditionnelles de la démocratie. Une fracture civique profonde s’est aujourd’hui creusée entre la représentation politique et une large fraction de ceux qu’elle est censée représenter. Comment comprendre cette évolution et comment agir afin de construire une citoyenneté plus large et plus effective ?
Forte de son expérience acquise aux côtés des différents acteurs de la démocratie locale, l’Adels nous livre son analyse de la crise civique dans l’ouvrage à paraître le 15 octobre 2005,
" Renouveler la démocratie : oui, mais comment ?, Analyses et propositions de l’Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale", dirigé par Serge Depaquit, vice-président de l’Adels.
Face à l’éclatement et à l’imbrication des lieux de décision, il s’agit de renouveler la pratique démocratique. Mais construire une dynamique citoyenne ne saurait résulter d’un aménagement à la marge de dispositifs conçus dans un contexte dépassé. C’est le contenu même du contrat démocratique qui doit être maintenant redéfini et dont l’Adels esquisse dans son ouvrage les enjeux essentiels ainsi que les moyens pratiques de leur mise en action.


L'analyse que fait l'adels de la crise civique
synthétisée pour vous en quelques lignes...

Renouveler la démocratie

Une fraction grandissante du corps social s'éloigne des expressions traditionnelles de la démocratie. Comment comprendre cette évolution et comment agir afin de construire une citoyenneté plus large et plus effective ?
En s’appuyant sur l’expérience de l'Adels, une longue histoire faite de réflexions et de rapports interactifs avec les différents acteurs de la démocratie locale, acceptons de sortir des sentiers battus et d'un "consensus mou" bâti autour du thème trop commode de la participation. Construire une dynamique citoyenne ne saurait résulter d'un aménagement à la marge de dispositifs conçus dans un contexte aujourd'hui dépassé. C'est le contenu même du contrat démocratique qui doit être maintenant redéfini.
Ce que certains ont nommé "le désenchantement démocratique" frappe par son ampleur : les citoyens, notamment ceux appartenant aux couches populaires, s'éloignent de plus en plus des mécanismes traditionnels de la démocratie. Une fracture civique profonde s'est aujourd'hui creusée entre la représentation politique et une large fraction de ceux qu'elle est censée représenter.

Le désenchantement civique

Cette fracture civique n'est pas apparue subitement ces dernières années. Elle résulte au contraire d'une dégradation étalée sur plus de vingt ans. Depuis ces années 70, l'abstention progresse très régulièrement. Parallèlement, les votes d'évasion sur les listes de partis non gouvernants ont également connu une très forte extension à partir du milieu des années 80.
Que devient dans ces conditions le système représentatif ? D'autant que la sélection sociale est drastique, il suffit de parcourir les taux d'abstention dans les quartiers populaires ! Des maires se flattent d'êtres élus avec 60% des voix, mais avec combien d'électeurs ?
Cette aggravation du désenchantement civique n'est pas propre à la France. Dans la plupart des pays d'Europe on constate une évolution comparable (avec quelques exceptions) ainsi qu'une montée inquiétante des votes populistes. C'est d'ailleurs la quasi-totalité des pays développés (États unis d'Amérique, Japon et même certains pays plus urbanisés du Sud) qui se trouvent confrontés à une crise des représentations collective plus ou moins comparable compte tenu des disparités des systèmes politiques.
Ce croisement des approches temporelles et spatiales montre très clairement que la démocratie est aujourd'hui parvenue à un moment critique de son évolution et qu'une menace pèse sur son avenir. Les causes de cette situation sont évidemment multiples. Mais la donnée essentielle doit être recherchée dans la perte de sens de l'action publique. Les sociétés modernes disposent-elles encore d'une capacité à agir sur leur propre avenir ? Faute de quoi la politique n'a plus de signification véritable. La crise de la représentation politique n'est finalement que le sous-produit de cette absence - réelle ou supposée, c'est une part du débat - de capacité à améliorer le futur de chacun, notamment celui des générations suivantes. Les modèles anciens – de gauche et de droite - qui fondaient le discours politique et sa projection vers l'avenir se sont tous décomposés ; la politique apparaît aujourd'hui comme réduite à la gestion, voire à la simple lutte pour le pouvoir.

La société de l’incertitude

Cette situation s’est, de plus, développée dans un contexte existentiel aggravant qu’est la société de l’incertitude. Risques et incertitudes ne sont pas identiques. Le risque est un aléas probabilisable, qui peut donc être mutualisé : protection sociale, assurances diverses, etc. tel n’est pas le cas de l’incertitude, qui ne se prête à aucune projection sur l’avenir. Durant les trente glorieuses, la croyance en une maîtrise rationnelle du long terme était quasi générale, la croissance rapide et régulière des années 45-73 avait permis cette acception du futur. Nous sommes aujourd’hui immergés dans une phase où domine l’abolition du projet. D’où le bouleversement des cadres existentiels : hier, le fils pouvait, en dépit de conditions de vie parfois difficiles, estimer qu’il virait sans doute mieux que son père. Tel n’est pas le cas aujourd’hui. D’où la transformation des imaginaires collectifs ; la société de l’incertitude a été intériorisée par les nouvelles générations.
Il serait cependant erroné d’interpréter l’approfondissement régulier de la crise de la représentation politique comme l’expression d’un phénomène de dépolitisation massive. Nombre d’études de sciences politiques en témoignent : dans leur majorité, les citoyens ne sont pas indifférents à la chose publique, mais c’est la confiance dans la classe politique, autrement dit la lisibilité de l’utilité de son action qui sont ici en question.
Les exemples abondent de la réalité des attentes du corps social à l’égard de l’action politique, même si celles-ci sont souvent peu conformes à une conception abstraite de l’intérêt général. On assiste d’ailleurs, depuis une dizaine d’année, à un renouveau de l’engagement des jeunes générations dans l’action publique et le militantisme, mais pour la grande majorité, hors des formations partidaires. Et si cette reprise d’intérêt s’est d’abord portée au niveau le plus apparemment inatteignable, la gouvernance mondiale, c’est précisément afin d’agir là où la décision semble la plus déterminante pour l’avenir. La réalité de ce renouveau d’intérêt pour les mobilisations politiques peut même parfois se vérifier dans le champ électoral. Ainsi, lors de la dernière élection présidentielle française, on a pu constater un phénomène très significatif : les 18-35 ans, qui s’étaient abstenus assez massivement lors du premier tour (34 %), ont largement participé au second tour avec moins de 22% d’abstention.

La différenciation des lieux de la prise de décision

Insensiblement, souvent sans que les acteurs le perçoivent, la citoyenneté change aussi de contenu. De plus en plus de décisions aux retombées importantes sur la vie du citoyen comme sur l’avenir de sa descendance relèvent de choix qui sont conçus et adoptés à des niveaux de compétences multiples et très souvent forts éloignés des échelles traditionnelles de la démocratie (la commune, l’Etat). La différenciation des lieux de la prise de décision (le quartier, l’intercommunalité, la région, l’Europe, le monde) engendre des multi-appartenances nouvelles qui ne sont pas encore suffisamment prises en compte dans les réflexions sur la crise du rapport des citoyens à la politique.
On ne redonnera pas de souffle à la pratique démocratique sans prendre toute la mesure de ces profondes mutations du processus de la prise de décision dans l’espace élargi des échelles territoriales. Car un risque majeur existe : tout changement institutionnel, même fondé dans son principe, peux entraîner des effets pervers pour la démocratie. Telle est la situation de l’Europe actuelle. L’expérience des lois de décentralisation de 1982-83 en témoignent aussi : faute d’une réflexion novatrice sur la place du citoyen, cette réforme, pourtant essentielle, a renforcé les tendances à l’autoritarisme d’élus locaux qui étaient de fait les véritables destinataires de ces lois. Un " mixte " existe entre l’émergence de l’incertitude sociale comme trait caractéristique des sociétés actuelles, la multiplication des appartenances et des lieux de décisions qui en découle et la crise du rapport des citoyens aux systèmes de représentation hérités de l’histoire. Ainsi, le temps est-il venu d’interroger les fondements du lien politique en redéfinissant les contenus du contrat démocratique. Redonner du sens à la politique suppose donc une réflexion neuve quant aux contenus et aux objectifs de l’action publique.

Pour un partage du pouvoir

La " démocratie participative " est aujourd’hui à la mode, la plupart s’en réclament, aussi bien élus qu’acteurs de la société civile, et maintenant gauche et droite confondues . Mais ce concept fourre-tout ne dit rien sur l’essentiel : participer, certes, mais à quoi ? S’y côtoient donc le meilleur et le pire, les pratiques innovantes comme la manipulation et le clientélisme. Renouveler la démocratie exige de sortir de ce salmigondis idéologiques. Développer la participation des citoyens en termes de démocratie suppose une réflexion précise sur l‘exercice du pouvoir.
Le citoyen doit avoir, tout au long du mandat, la possibilité d’intervenir dans des choix concernant son avenir. Car la citoyenneté n’existe que dans l’action, la durée et la capacité de peser sur ce qui se décide. Ce qui suppose un partage du pouvoir, non pour retirer à l’élu quelque part que ce soit de sa légitimité, mais parce que dans le monde du XXIe siècle, la décision ne peut être pertinente qu’en se fondant sur une stratégie d’acteurs. C’est à la fois à une citoyenneté plus active comme à une représentation politique plus investie dans cette construction partagée de l’action publique qu’il convient aujourd’hui de parvenir.
C’est donc les modes d’exercice du pouvoir qui sont aujourd’hui à repenser si l’on souhaite réellement parvenir à une participation effective des citoyens à la chose publique. Œuvrer à l’émergence d’une démocratie délibérative suppose d’agir dans plusieurs directions :
- créer les conditions d’existence d’espaces publics de délibérations, que l’on ne saurait réduire aux pratiques dites de concertation ;
- prendre les initiatives susceptibles de contribuer à former du jugement public, notamment en ce qui concerne les enjeux majeurs de l’action publique. Autrement dit, substituer une démarche d’appropriation aux facilités de la " démocratie sondagière " ;
- mettre en œuvre des processus décisionnels impliquant la pluralité des acteurs.
Une telle démocratie délibérative devrait évidemment s’appuyer sur des dispositifs existants (exemple : les conseils de quartier), mais en redéfinissant leurs finalités et modes de fonctionnement. Dans le même mouvement, de nouveaux " outils démocratiques " pourraient être expérimentés et mis en œuvre (conférences et jurys de citoyens, évaluation démocratique des politiques publiques, reconnaissance de l’expertise d’usage, budgets participatifs.

L’efficience du gouvernement de la cité

La qualité d’une décision dépend aujourd’hui beaucoup plus que par le passé de la mise en synergie d’une pluralité d’acteur. Ainsi, une expertise d’usage réside au sein du corps social, qui peut souvent se révéler essentiel pour la qualité et la mise en œuvre d’un projet. Les associations sont d’ailleurs souvent les relais utiles d’un tel enrichissement collectif, sans préjudice d’autres formes plus directes d’expression des habitants (on songe ici, par exemple, aux conférences de citoyens).
L’intérêt d’une gestion démocratique des projets ne se réduit pas au respect de l’éthique nécessaire à la vie en société, ce qui est évidemment essentiel, mais consiste également en un apport devenu incontournable à l’efficience du gouvernement de la cité.
La citoyenneté active est sans doute quelque part une intrusion du culturel dans le champ de la politique. Pour quoi luttons nous ? Évidemment pour transformer les conditions d’existence de chacun et assurer le sort des générations futures, autrement dit pour produire du changement à finalité humaniste. Si la crise actuelle de la relation du citoyen à la politique trouve son fondement dans la perte de sens de celle-ci, alors c’est dans le " à quoi ça sert ? " que se situe la seule source possible de son renouvellement. C’est en traitant de questions très concrètes qui concernent la vie de chacun dans ses perspectives de développement que le citoyen peut retrouver le chemin du lien politique. On ne participe pas durablement pour l’intérêt des dispositifs, voire pour la qualité des réformes institutionnelles ou en fonction d’une morale politique, mais pour des objectifs palpables et directement compréhensibles. Il ne s’agit pas de proximité, si ce n’est celle de la compréhension, de la lisibilité et de la crédibilité, mais de la capacité à agir sur des choix collectifs, du micro au plus global, du local au mondial. Contrairement à une idée reçue, tout peut permettre l’engagement quelque soit l’ambition de l’action, à condition que les choix prennent sens et s’intègrent à de la faisabilité.
C’est bien la légitimité de l’action publique qui doit être re-interrogée et redéfinie. Celle-ci a jusqu’ici été conçue dans le seul cadre de la délégation de pouvoir issue du système électoral. Le propos n’est pas de remettre en cause ce dispositif essentiel de l’exercice de la démocratie. Mais le champ de la représentation politique ne couvre pas tous les possibles du lien politique, qui ne saurait être réduit à ses temps électoraux. Comprendre les enjeux de l’action publique et se les approprier ne passe finalement qu’assez marginalement par le temps de l’élection et ne peut résulter de la seule information. C’est dans le vécu, parfois quotidien, que se construit en réalité le rapport au bien collectif et, par là, à l’intérêt général.
Dans le contexte actuel, le renouvellement de la démocratie prend la dimension d’une révolution culturelle qui concerne à la fois le rôle de l’élu et le regard que porte le citoyen sur sa place dans l’espace public. Il s’agit de sortir des raisonnements statiques et hiérarchiques afin de passer à des dynamiques entre acteurs à sommes positives.

Bernard Deljarrie – Serge Depaquit
Président et vice-président de l’Adels

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TROISIÈME TEXTE


FRACTURE CIVIQUE, FRACTURE SOCIALE
LA QUESTION DU PARTAGE DU POUVOIR DOIT ETRE POSEE

DE L'AUTOGESTION A LA DEMOCRATIE DELIBERATIVE



I) L'utopie réaliste du PSU

En mai 68, le PSU ne parlait pas d'autogestion mais de pouvoir ouvrier, paysan, étudiant, de pouvoir du peuple. Il est vrai que dans le premier numéro de "PSU-Documentation" de novembre 68, figurait un article intitulé "Du contrôle ouvrier au pouvoir des travailleurs vers l'autogestion", signe du fait que le PSU commençait à s'emparer d'une notion qui va mettre quatre ans à s'imposer. C'est en effet au congrès de Toulouse en décembre 1972 que le "socialisme autogestionnaire" deviendra l'axe politique du parti. Le PSU sera par la suite le principal porteur, avec la CFDT(1) du thème de l'autogestion jusqu'à ce que cette dernière l'abandonne face à l'évolution des enjeux du débat politique.

Il est incontestable que l'autogestion fut une source de vitalité politique, mais qu'en reste-t-il aujourd'hui alors que le mot a perdu beaucoup de sa présence dans l'espace politique. Pourtant la crise actuelle repose avec force l'ancienne question du rapport au pouvoir dans ses diverses déclinaisons.

Sur le fond, l'approche autogestionnaire rejoint et concrétise le thème fondamental de la démocratie: le principe de souveraineté populaire. Que devient aujourd'hui la réalisation d'un tel fondement dans les conditions des sociétés complexes? La question se pose à tous les niveaux de la décision qu'il s'agisse de l'entreprise comme des niveaux territoriaux du local au mondial. Nous nous limiterons ici à cette dernière approche.

Quels peuvent être aujourd'hui les apports de la démarche autogestionnaire? Nous devons comprendre que le monde a profondément changé depuis la période des années 60/70, que les mots d'ordre, les formes d'organisation et même l'éventail des questions doivent être repensées, le sens initial de la démarche restant d'une grande actualité.

Nous vivons en effet une crise du rapport des citoyens à l'action publique dont l'ampleur n'est pas suffisamment perçue. Dans le même temps, une crise sociale très profonde bouleverse les perspectives d'avenir pour des secteurs entiers du corps social. S'agit-il d'une coïncidence ou d'un lien gravissime qui risque de détruire les fondements du contrat civique et social produit de notre histoire.

Bien avant cette dégradation considérable du lien civique, l'approche autogestionnaire du PSU nous proposait déjà de revenir aux fondements de la démocratie dans une période où portant les taux de participation électorale nous apparaîtraient aujourd'hui comme idyllique. Cette lucidité politique était d'ailleurs renforcée par l'ambition même du projet : il ne s'agissait pas simplement de multiplier les démarches locales de type autogestionnaire (certes tout à fait essentielles au projet), mais d'une perspective politique globale, le socialisme autogestionnaire. Ne sommes-nous pas aujourd'hui confrontés à une telle interrogation relative à l'objet même de l'action politique, bien au-delà de la pertinence des mots dans une période donnée et dont nous devons évidemment tenir compte.
Certes, à l'époque, le PSU n'est pas allé très loin dans l'élaboration d'une traduction concrète de son orientation. Il était encore trop tôt et on raisonnait encore bien souvent en termes de conseils de travailleurs organisés en structures pyramidales jusqu'aux sommets de l'Etat. Nous devons aujourd'hui dépasser ces visions sommaires et nous emparer des opportunités qu'offrent les mutations du monde actuel.

En fait, l'autogestion esquissait, par le contenu novateur de sa pratique, un changement de regard sur ce qui avait justement constitué la base du mouvement ouvrier avec la prise en compte du rôle, jusque-là ignoré, de l'individu dans la construction du collectif. Des microprojets à une conception généralisée de l'émancipation, l'autogestion était destinée à donner toute sa place à la parole de chacun dans l'élaboration collective de la décision, c'est cette approche que nous devons aujourd'hui explorer.

L'autogestion générait en fait une innovation essentielle, d'ailleurs peu perçue à l'époque, mais qui devient aujourd'hui pleine de sens: dans les conditions du monde actuel, prendre en compte le rôle de l'individu dans une stratégie de changement social. On ne peut plus gouverner ou agir collectivement sans la prise en compte d'une telle donnée. On trouve d'ailleurs là l'une des approches susceptibles de différencier en profondeur la droite de la gauche, ce que l'on peut résumer en une formule: la droite part de l'individu pour le renvoyer à lui-même (travailler plus pour gagner plus) alors que la gauche doit aussi prendre en compte l'individu, mais pour le renvoyer sur le collectif.

Les valeurs généralement demeurent fondatrices au-delà du temps, mais les formes de leur expression évoluent avec celui-ci, c'est ce que ce texte veut tenter de cerner.


II) Le désenchantement démocratique

La forme dominante et pour ainsi dire unique de la souveraineté populaire est en général perçue dans le cadre du système électoral au suffrage universel, or celui-ci connaît depuis 25 ans une perte de substance significative, notamment dans les couches populaires qui s'éloignent de plus en plus de la pratique électorale. Le taux d'abstention aux différents scrutins, élection par élection, a en gros doublé sur cette période de 25 ans. Seule l'élection présidentielle de 2007 a connu une forte participation (16% d'abstentions), ce qui demanderait une analyse particulière que l'on ne va pas faire ici, mais les trois élections qui ont suivi témoignent pour chacune d'une nouvelle augmentation du taux d'abstention (législatives 40%, municipales 39% dans les localités de plus de 3500 habitants, régionales plus de 54%). Dans le même temps, les votes en faveur des formations n'appartenant pas à la sphère gouvernante, qui étaient quasiment inexistants au début des années 80, se sont ensuite largement développés.

Ce désenchantement démocratique a pris une dimension considérable dans les quartiers populaires, notamment dans les zones de ghettoïsation accrue. Lors des dernières élections régionales, l'abstention y a souvent atteint des niveaux record aux alentours de 75 %. Déjà lors d'un débat publié par la revue de l'ADELS Territoires en 2003, un élu d'Aubervilliers avait souligné la réalité électorale de sa commune: lors des élections municipales: 30% des habitants n'avaient pas le droit de vote, 20% l'avaient, mais ne s'étaient pas inscrits; sur la moitié des habitants restants, 60% s'étaient abstenus. Résultat sur l'ensemble: la majorité municipale ne représentait guère plus de 10% des habitants de la commune. On sait que cette situation électorale est loin d'être isolée, que reste-t-il alors de la réalité de la représentation?

On a longtemps prétendu que cette perte de substance du rapport des citoyens à l'action publique était un phénomène essentiellement français, ce qui est faux, notamment en Europe où la quasi-totalité des pays connaît une telle évolution (2). C'est en fait le système d'autorité dominant qui est en question dans la plupart des pays industrialisés, Europe, Japon et même aujourd'hui les USA où le rejet des "élites" touche une très large fraction de la population, bien au-delà des courants ultras. Un sentiment de perte des valeurs et de dégradation des conditions de la vie collective domine, ce qui fait le jeu un peu partout des courants d'extrême droite, risquant d'ouvrir à terme un boulevard aux aventuriers de la politique.

Cette montée du scepticisme populaire est étroitement liée à la crise sociale qui a succédé, depuis le début des années 80 à la fin de la période des 30 glorieuses: montée du chômage de masse (à partir de 78-79), des inégalités comme des discriminations, de la rigidification des statuts et de la stagnation des salaires ouvriers et employés (taux de croissance de 0,5% l'an sur une durée de 25 ans), ascenseur social bloqué, non seulement dans les couches populaires, mais dans une large partie des classes moyennes.

La crise du logement est emblématique des difficultés qui touchent plus particulièrement les jeunes générations, celle-ci n'avait d'ailleurs pas attendu la crise globale actuelle: entre 1996 et 2004 le prix d'achat d'un logement avait augmenté de 58% dans les villes de plus de 10000 habitants et de 68 % à Paris. Que peuvent face à une telle dérive les 4 % sur 8 ans d'augmentation des salaires de base mentionnés précédemment?

En fait un "mix" fondamental existe aujourd'hui entre fracture sociale et fracture démocratique et on ne résoudra rien si l'on ne prend pas ne compte toutes les implications théoriques et pratiques d'une telle alliance. D'autant que, phénomène aggravant, nous sommes aujourd'hui confrontés à ce que l'on peut désigner comme une "société d'incertitude" où la projection sur l'avenir est de fait abolie. Or la crise globale que nous connaissons depuis 2007 aggrave cette mutation du capitalisme moderne. Nous connaissions déjà les sociétés du risque, mais celui-ci est mutualisable et on peut agir pour l'obtenir s'il ne l'est pas, mais l'incertitude l'est beaucoup moins, d'où la nécessité de repenser en profondeur les contenus et les objectifs de l'action destinée à transformer les logiques économiques et sociales actuelles ainsi que les systèmes de gouvernance non démocratique qu'elles génèrent.


III) Penser la démocratie dans les mutations du monde actuel

La profondeur des enjeux qui sous-tendent la crise de la représentation ne permet plus de se satisfaire des raccourcis politiques habituels de la démocratie participative. Certes un certain nombre d'initiatives locales très positives peuvent se développer sur ce thème grâce à l'imagination et à l'énergie d'acteurs soucieux de leur indépendance, mais aussi nombre de manipulations politiques prennent corps dans le flou conceptuel d'une notion non réellement définie.

Agir pour le renouvellement de la démocratie suppose au contraire de revenir à la clarté des fondements de la démarche. Le principe de souveraineté populaire suppose que quelque part le citoyen dispose d'un pouvoir sur ce qui se décide en son nom et qui concerne son avenir comme celui de ses enfants. La question posée est donc celle de la démocratie délibérative, car la délibération n'existe qu'en rapport à la décision, ce qui permet la définition d'une méthodologie et la fixation d'objectifs nécessaires à la qualité et à la pertinence du débat.

Face au sentiment d'impuissance aujourd'hui grandissant qui vide l'action publique de toute attractivité pour une fraction importante du corps social, c'est cette exigence d'un pouvoir citoyen sur ce qui se décide qui peut seul permettre le renouvellement de la pratique démocratique. La démocratisation de la décision est certainement aujourd'hui l'enjeu majeur d'une nouvelle donne démocratique.

Sur quoi baser une telle démarche? En s'appuyant sur une réalité du monde d'aujourd'hui: une décision est devenue un processus impliquant un pluralisme d'acteurs. Pour toute décision essentielle, un partage du pouvoir est devenu une nécessité, c'est par exemple le cas des lois entre l'Europe et les Etats (60% de celles-ci), ou les contrats entre villes ou régions et l'Etat, etc. ; la raison en est simple, une décision suppose la mise en œuvre d'un ensemble de compétences, de légitimités, de moyens d'action, etc.

On peut prendre l'exemple de la plupart des municipalités (et autres collectivités territoriales): le vote du conseil municipal est important du point de vue légal, mais il s'agit en fait de la ratification d'une décision déjà prise, généralement dans le bureau du maire, par un ensemble constitué d'élus (adjoints, mais pas tous), de non élus (par exemple issus du personnel technique) voire d'autres participants dont bien souvent les représentants d'entreprises concernées par le projet, le tout étant l'aboutissement d'un processus étalé dans le temps. Mais l'efficacité d'une action publique ne résulte pas de la seule mise en commun experts, professionnels, élus, car l'appropriation des enjeux et des choix (financiers et autres) par les citoyens est aujourd'hui essentielle. On pourrait faire ici une longue liste de choix politiques qu'il a fallu abandonner parce que rejetés par le corps social avec combien de pertes de temps et d'argent.

Cette idée du pouvoir citoyen doit être pensée dans les conditions des sociétés complexes. Il s'agit à la fois d'éthique démocratique et d'efficacité de l'action publique. Ce sont des processus décisionnels impliquant une pluralité de savoirs et de légitimités qui doivent être pensés et proposés si l'on veut réellement ouvrir une nouvelle donne démocratique.

IV) Démocratiser la décision

Nous vivons dans un monde de la division de la décision et c'est cela qu'il faut comprendre et savoir transformer en dynamique sociale et citoyenne. Le partage du pouvoir est une réalité de tous les jours entre institutions, mais le citoyen devient de plus en plus incontournable. On ne peut plus penser la réalisation du principe de souveraineté autour de la seule pratique électorale: on vote, on délègue… et on revote 5 ou 6 ans plus tard. C'est une souveraineté complexe qu'il s'agit de construire, comprenant certes l'élection, mais également d'autres pratiques démocratiques non intermittentes et impliquant directement les citoyens.

Autour de la proposition de processus décisionnel, une véritable régulation démocratique des actions publiques peut être mise en œuvre, qu'il s'agit de construire en s'appuyant sur le sens initial de l'idée de gouvernance: un partage du pouvoir, facteur de dynamique collective et au-delà de qualité du projet et donc du vivre ensemble.

En quoi peut consister une telle démarche? En exploitant la réalité moderne de la division de la décision. Ceci peut se traduire dans l'image toute théorique du triangle: la décision se construit dans un champ délimité par trois pôles, à un sommet on trouve l'Etat sous ses diverses formes, à un autre le marché et les entreprises, à un troisième les citoyens, la société civile. Là est la source d'une possible régulation démocratique, chacun pense en fonction d'une logique dominante: pour l'Etat, c'est la gestion, dans le cas de l'entreprise, c'est le profit, pour la société civile, ce sont les valeurs (3). Il ne s'agit bien évidemment ici que d'une image, la réalité est forcément complexe, différenciée, c'est celle des contenus concrets des processus décisionnels, de la synergie entre instruments créatifs d'espaces publics délibératifs, etc.

Les processus décisionnels évoqués ici devraient évidemment s'appuyer sur les outils démocratiques existants: conseils de quartiers, conseils de développement, dispositifs d'évaluation, observatoires de la démocratie, jurys citoyens, questionnaires interactif, etc. Cependant ceux-ci souffrent bien souvent de leur vieillissement et une réflexion doit être entreprise afin de redéfinir leurs champs d'action comme leurs finalités afin que soit mieux prise en compte la réalité des attentes du corps social. La notion même de proximité devrait être revisitée ainsi que les conséquences de l'éclatement des lieux de la décision dans l'emboîtement des échelles territoriales. La trop grande institutionnalisation d'un certain nombre de ces outils démocratiques est elle-même en question, d'autant que ces dispositifs doivent construire leur audience dans un contexte de désenchantement démocratique

Les moyens cependant existent à l'image de la pratique des "budgets participatifs", véritables instruments de partage du pouvoir (4) dans un champ de la décision aussi essentiel que la dimension financière de l'activité territoriale.

C'est d'une gouvernance à contenu démocratique dont il est ici question, bien loin des interprétations technocratiques que l'on rencontre généralement.

C'est la conception du pilotage de l'action publique qui doit être questionnée, d'autant que l'évolution de la décision en processus différencié permet l'émergence de nouvelles potentialités favorables à l'implication citoyenne. Encore faut-il sortir des sentiers battus et accepter d'œuvrer dans l'esprit novateur qui a sous-tendu la démarche du socialisme autogestionnaire. Or nous sommes confrontés à une conception archaïque du pouvoir. C'est cela qui doit changer afin que la place du citoyen dans la pratique démocratique soit enfin réellement reconnue.


V) L'obstacle institutionnel

Il est vrai que ce renouvellement démocratique est totalement contradictoire avec l'esprit et pour partie la lettre des institutions nationales. La France, exception en Europe, est dotée d'un système de représentation politique fondé sur une conception monarchique du pouvoir dont on trouve la trace tout au long de son histoire.

Cette monarchie élective est aujourd'hui confrontée à la crise démocratique avec une menace considérable quant à l'avenir de la pratique démocratique. L'attribution de l'essentiel des pouvoirs à une personnalité élue au suffrage universel a pour conséquence d'offrir un boulevard politique à toutes les formes de démagogie: aventuriers politiques charismatiques et aujourd'hui leaders d'extrême droite. Jusqu'ici le système avait trouvé une sorte de stabilité provisoire dans l'alternance gauche/droite (d'ailleurs l'une des sources du désenchantement démocratique). Cet équilibre instable semble aujourd'hui en bout de course, d'où la fuite vers la démocratie d'opinion (on vote sur des apparences et pas sur de contenus politiques) qui se trouve comme prise de vitesse par la montée du populisme d'extrême droite. A terme, la menace est plus que sérieuse, l'impossibilité actuelle de réunir une majorité de voix sur une telle hypothèse n'est peut-être pas éternelle, surtout en période de crise et d'absence d'une projection collective sur l'avenir. Il est sans doute temps d'aborder un débat aussi essentiel.


VI) Petite conclusion

Le constat de la gravité de la double crise sociale et démocratique pourrait être interprété comme un signe de découragement, rien ne serait plus faux. Les études électorales, notamment de la Fondation des sciences politiques (CEVIPOF), ont montré que la prise de distance citoyenne avec la participation électorale n'était pas un signe de dépolitisation massive, mais d'une perte de sens du rapport à l'action publique. Le débat politique existe dans le pays sous les formes les plus diverses, généralement animé par les acteurs de la société civile, mais peu relayé par les médias qui se concentrent sur la vie politicienne. Le mouvement social est également capable de fortes mobilisations face à un pouvoir qui pourtant ne laisse aucune marge à la négociation.

Le monde change, on ne gouvernera plus comme avant, c'est ce que nous devons tous comprendre, médias, élus, autant qu'acteurs de la société civile. C'est la question du pouvoir qui doit être repensée et mise en débat afin de dégager une nouvelle donne démocratique. C'est la condition de l'espoir.

Serge Depaquit Administrateur de l'Adels


(1) La CFDT utilisera pour la première fois la notion d'autogestion le 16 mai 68 dans une déclaration officielle.

(2) "Renouveler la démocratie, oui mais comment? " S. Depaquit, éditions de l'Adels

(3) Voir par exemple "la tri articulation pour un monde tripolaire" de Nicanor Perlas (La société civile le troisième pouvoir. Changer la face de la mondialisation. Editions Yves Michel)

(4) Ce qui n'est généralement pas le cas en France lorsque l'on se réfère à la notion de budget participatif




Collectif pour une politique citoyenne dans les Monts du lyonnais

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